Depuis la pandémie, nombre d'employeurs ont testé, pour gagner en attractivité, l'adoption de nouveaux rythmes de travail appréciés des salariés. Mais certains renoncent à cause des effets indésirables que ces emplois du temps intenses génèrent.
Par Matthieu Quiret
Publié le 27 déc. 2023 à 7:05
Eric Hémar avait trouvé l'idée bonne : supprimer un jour de travail par semaine à ses employés pour leur faire économiser de l'essence. Le PDG d'ID Logistics, un des géants français du secteur, a proposé à quatre de ses entrepôts de tester cette année la semaine de quatre jours.
Pendant 6 mois, 250 salariés ont saisi la balle au bond : profiter d'un jour de congé par semaine en plus mais réaliser ses 35 heures sur les jours les plus chargés des entrepôts. « On pensait que ça valait le coup pour des gens qui habitent souvent à plus de 15 ou 20 km de leur lieu de travail. Mais ça c'est avéré peu concluant : travailler 9 heures par jour dans ces métiers est fatiguant, la productivité diminue et la prime liée à la performance était aussi plus compliquée à distribuer », pointe Eric Hémar.
L'expérimentation a été arrêtée dans trois centres logistiques. Seul le quatrième continue car il s'agit d'un nouveau site qui a ouvert avec ce mode d'organisation : les nouveaux employés, très volontaires donc, ont une organisation personnelle qui fonctionne bien dans ce cadre.
Engouement italien
Le galop d'essai d'ID Logistics est symptomatique de la course dans laquelle les entreprises tentent de se maintenir depuis la pandémie. Nombre d'employeurs, ballottés par la nécessité de proposer des aménagements du travail pour rester attractif, agitent la semaine de quatre jours comme une carotte. Un phénomène pas uniquement français : ces dernières semaines il s'est même emballé en Italie. Coup sur coup Intesa Sanpaolo, Lavazza et EssilorLuxottica puis Lamborghini ont franchi le pas.
Le constructeur de voiture de luxe a consenti que ses ouvriers dédiés à la production travaillant en deux équipes alternent une semaine de cinq jours et une semaine de quatre jours, supprimant 22 jours de travail par an. Essilor Luxottica va tester l'an prochain pendant 20 semaines le rythme de quatre jours hebdomadaires pour les employés de ses usines. La direction du fabricant de lunettes franco-italien justifie notamment cette concession par la volonté de remettre de l'équité entre les salariés profitant de plusieurs jours de télétravail et ceux qui ne peuvent y avoir droit car travaillant à la production.
C'est d'ailleurs historiquement dans l'industrie que ce rythme s'est développé, pour des raisons économiques, rappelle Axel Parkhouse, le président du cabinet de conseil RH Arthur Hunt France. Le secteur automobile l'a beaucoup sollicité ces dernières années pour encaisser les baisses de charge des usines, parfois jusqu'à la semaine de trois jours, combinée alors à deux jours de chômage partiel dans le cadre de l'Activité partielle de longue durée (APLD).
Maisons de champagne
Autre secteur friand de la concentration des durées de travail, les ateliers de maintenance des gros équipements coûteux. Réacteurs d'avion, grosses machines industrielles type forge : l'immobilisation de ces actifs coûtant très cher, il est judicieux d'allonger au maximum les journées de travail des équipes, et donc de passer à la semaine de quatre jours. La logique débarque aussi dans le secteur ferroviaire, car la sophistication du matériel justifie de plus en plus d'y recourir. Voilà pourquoi la RATP négocie actuellement avec ses équipes de maintenance.
Pour Axel Parkhouse, la semaine de quatre jours fonctionne bien aussi dans quelques autres situations spécifiques. Il évoque plusieurs maisons de champagne qu'il a accompagnées pour libérer une journée de congé de plus dans leurs chais. La gestion des cuves, la préparation des expéditions se gèrent sur 4 jours sans effet économique, assure-t-il.
Mais ailleurs, le modèle est loin de s'imposer. Le consultant estime qu'il impose trop de rigidité tant pour les employés que pour leur employeur. « Les employeurs doivent répondre à une demande de meilleure souplesse de l'organisation du travail mais la formule des quatre jours est moyennement flexible. Je recommande plutôt celle des RTT ». Dans une enquête réalisée cet été, l'Association nationale des DRH estime que seules 3 % des entreprises l'ont mis en place. Mais la pression demeure : 29 % des DRH expliquent faire face à la demande de leurs salariés et 61 % y restent favorables sous certaines conditions.
C'est surtout dans les services, et surtout chez les start-up que l'engouement pour ces nouveaux emplois du temps ne se dément pas. Les pionniers comme le distributeur LDLC ne sont pas revenus en arrière.
Le site d'emploi Welcome to the Jungle, par exemple, chiffre précisément les bénéfices. Adoptée en 2019, la semaine des quatre jours offre aux collaborateurs, des cadres autonomes au forfait jour, un jour de congé le mercredi ou le vendredi. Selon la direction de l'entreprise, « il n'y a pas eu de condensation des heures de travail de 5 à 4 jours, mais plutôt une réorganisation du travail (priorisation des projets à forte valeur ajoutée, réduction du temps passé en réunion, meilleure préparation des réunions, etc.) de manière à atteindre des objectifs restés identiques et garder le même niveau de productivité ».
Il y a un an, un sondage chez les salariés montrait que 93 % des employés de Welcome to the Jungle considèrent avoir un bon équilibre vie professionnelle - vie personnelle. 95 % considèrent que la semaine de quatre jours les rend plus efficaces. L'entreprise a conclu que « la réduction du temps de travail de 20 % ne s'est pas accompagnée d'une baisse de la performance au sein des différentes équipes. Pour les cas qui l'ont nécessité, des ajustements ont été trouvés suffisamment tôt pour que la productivité soit préservée ».
Matthieu Quiret